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Groundhopping : Voyage 

au pays du football-vrai

Populaire en Grande-Bretagne et en Allemagne, le groundhopping - ou le tourisme des stades - émerge en France. Ça tombe bien, le football français cherche à promouvoir son attractivité grâce à ses enceintes flambantes neuves. Une offre touristique qui plaît vraiment aux groundhoppers ?

entre tourisme des stades et rejet du football-business

C’est un drôle de défi que s’est lancé Kai Menzel. Après avoir assisté à des matches de football dans la plupart des stades de Ligue 1 et Ligue 2, ce baroudeur allemand tentera maintenant de faire le tour des stades du championnat national, la troisième division française. Même s’il n’estime pas aller dans des enceintes particulièrement « exotiques », sa quête de nouvelles expériences le mènera le 17 mai prochain en Auvergne-Rhône-Alpes pour une rencontre entre Villefranche-Sur-Saône et l’Entente Sanois Saint-Gratien.

 

Le voyage est insolite et, comme lui, de nombreux fans s’adonnent au groundhopping. Contraction de ground (« terrain ») et de hopping (« sauter »), la pratique consiste à assister à des matches de football dans le plus grand nombre de stades possible. Et qu’importe si le spectacle et le beau jeu ne sont pas au rendez-vous, l’essentiel est ailleurs. À savoir, dans la quête d’un football pur et authentique, non sans une part de romantisme.

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Le portail d'entrée d'Anfield Road, le mytique stade de Liverpool.

© Romain Guilbault, pour Au-Stade.fr

Une pratique émergente en France

Apparue dans les années soixante-dix en Angleterre, la pratique s’est ensuite répandue dans d’autres pays européens, en premier lieu desquels L’Allemagne et les pays scandinaves. Difficile de quantifier précisément le nombre d’adeptes en France. Mais, quelques indices permettent d’appréhender l’émergence du mouvement. En janvier 2019, le très bon site amateur Toutlemondesenfoot, qui publiait déjà des retours d’expériences de groundhoppers français, a lancé Au-Stade, une plateforme uniquement dédiée à la pratique. Pas moins de 122 groundhoppers ont narré leurs 247 aventures dans plus de 6 623 stades différents. « Nous avons créé le site pour susciter des vocations, mais on constate qu’il y a pas mal de Français qui voyagent pour du foot », s’avance Romain, l’un des co-créateurs du site.

 

Si la bande de rédacteurs partage principalement ses expériences de voyage, d’autres décident de les organiser. Flairant la demande grandissante, Moncef El Ayouni, un Limougeaud d’une trentaine d’années, a lancé Tripfoot.fr en mai 2017. Sorte d’agence de voyage consacrée au tourisme footballistique, son site a permis à une quinzaine de fans de partir en expédition dans divers stades européens.


De son côté, Geir Florhaug, créateur de l’application mobile « Groundhopping » qui permet aux pratiquants de comptabiliser leurs stades visités, juge la pratique en pleine expansion : « On constate un nombre croissant d’utilisateurs français, ils seront bientôt les troisièmes les plus actifs, derrière les anglais et les allemands ».

En France, le mouvement compte de plus en plus d'adeptes. Découvrez leur récit.

© Romain Guilbault, pour Au-Stade.fr

Partie I
PartieII
Partie III
Crédits

"Quand tu viens à Bordeaux, ce n'est pas pour voir jouer Jimmy Briand"

Passionné de football, le groundhopper ne se contente pas de suivre son équipe de cœur lors de ses déplacements. Il est en quête permanente de nouveaux stades à mettre au service d’une expérience touristique à part entière. « Quand tu viens à Bordeaux, ce n’est pas pour voir jouer Jimmy Briand mais aussi pour visiter la ville, rappelle justement Philip, un groundhopper de 33 ans. Ce que j’aime, c’est prendre le train et aller à Brest, Clermont-Ferrand, Metz, dans des coins de France plutôt sympas pour découvrir la ville et le stade ». Concilier tourisme et football, c’est même ce que cherche à développer Mathéo. De retour en France après avoir découvert le tourisme footballistique en Allemagne à l’occasion d’un service civique à Berlin, il ambitionne de « créer une agence de voyage « version groundhopping » » afin de « faire la promotion de l’Allemagne ».

 

Comme toute expérience de voyage, la pratique est teintée d’une dimension sociale et culturelle. Le groundhopping, « c’est pour voir les gens », rappelle le journaliste d’investigation Romain Molina dans une vidéo consacrée au sujet.

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© Romain Guilbault, pour Au-Stade.fr

Regardez la vidéo de Romain Molina,

« Le tourisme footballistique : un business croissant mais aussi romantique ».

Un avis que partage Steve, groundhopper depuis ses 14 ans. « Au stade, tu es neutre donc le match en lui-même ne t’intéresse pas vraiment, témoigne-t-il. Ce que je recherche, c’est surtout l’aspect culturel et historique. »

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Faire le pont entre un stade et la ville qui l’abrite, s’intéresser à la dimension identitaire d’une enceinte sportive et à sa faculté à laisser transpirer une culture urbaine anime nombre de groundhoppers, comme Guillaume. « Ce que j’aime, c’est aller dans un stade et sentir une identité locale, souligne cet étudiant de 24 ans. J’adore le Roudourou à Guingamp. Tu sens une ambiance populaire et locale, où le stade rappelle l’aspect rural de sa ville. L’un de ses symboles, c’est un tracteur aux couleurs du club. »

Sur Au-Stade.fr, Romain partage ses expériences de groundhopping. Avant chaque match, une découverte de la ville s'impose. Il présente les différents lieux de visite, comme ici la tour de Galata à Istanbul, à l'occasion d'un match du Besiktas, l'un des clubs de la ville turque.

« Ne pas aller voir des champions du monde, mais un football-vrai »

Pour ces fans pour qui le football est élevé au rang de religion, le groundhopping relèverait d’une forme de « pèlerinage » selon l'expression du journaliste Romain Molina.  « Par exemple, quand je vais voir des matches à Courtrai, je ne vais pas voir des champions du monde mais un football-vrai avant tout », abonde Basile, étudiant dans le nord, lui aussi groundhopper. « Pèlerinage », « football-vrai », autant de termes qui renvoient le groundhopping à un tourisme alternatif, à la quête d’un football pur et authentique. Loin des standards du football-business.

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C’est précisément cette définition de la pratique que donne le chercheur John Connel dans groundhopping : nostalgia, emotion and the small places of football (2017). Selon l’universitaire australien, si la pratique gagne en influence, c’est parce qu’elle est une réponse à la financiarisation galopante du football. « Chez les supporters radicaux, on observe une vraie résistance au modèle de disneylandisation du football, analyse Jean-Michel Roux, chercheur en urbanisme à l’Université Grenoble Alpes et spécialiste des stades et de leurs ambiances. Ils résistent pour ce qu’ils appellent le « foot populaire » et par opposition au « foot moderne ». C’est une vraie lutte syndicale. »

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En France, justement, nombre de clubs souhaitent capitaliser sur leurs stades modernes, sortis de terre ou rénovés à l’occasion de l’Euro 2016. Certains historiques ont subi un lifting, comme les mythiques Bollaert à Lens, Geoffroy-Guichard à Saint-Etienne et Vélodrome à Marseille. D’autres sont sortis de terre pour l’occasion. Prenons les exemples du Groupama Stadium à Lyon, du Matmut Atlantique, l’antre des Girondins de Bordeaux, de l’Allianz Riviera à Nice ou encore du stade Pierre Mauroy à Lille. Avec ses nouvelles enceintes, la France comptait rattraper son retard sur les autres championnats. Elles sont autant d’exemples permettant de comprendre le clivage entre « football-vrai » et « football-business », où le groundhopping peut difficilement trouver sa place, en dépit d'un nombre de pratiquants en augmentation.

Comme d’autres formes de tourisme, celui des stades comporte aussi une dimension marketing et commerciale. En Espagne, le FC Barcelone capitalise sur son histoire, son catalanisme et son ADN: celui d’être « més que un club ». Comprenez un club à part, avec des valeurs qui lui sont propres. Souvent considéré comme la Mecque du football européen, - l’analogie avec la spiritualité passe aussi par la chapelle située dans le couloir menant à la pelouse - le Camp Nou, son stade, est une machine à cash. À chaque rencontre, en moyenne, l’enceinte est garnie par 10% de tour-opérateurs. Son musée est le troisième le plus visité du pays et accueille plus d’un million de visiteurs chaque année.

Selon J.Connel, le « football-vrai » trouve son origine dans la dérive capitaliste du football observée à partir des années 1990. L'arrivée de grandes fortunes à la tête des clubs, l'explosion du nombre de transferts et de leurs montants ainsi que la docilisation des stades au nom des normes imposées par les détenteurs des droits TV sont autant d'évolutions critiquées par certains fans de football, rétifs à l'idée de voir leur sport soumis au diktat du profit. Par exemple, certains supporters de Manchester United opposés au rachat de leur club par le milliardaire Malcolm Glazer ont créé en 2005 un club dissident: le FC United of Manchester.

En savoir plus : visionnez "Sur les traces du FC United of Manchester."

ÀLyon, une stratégie baptisée "Full entertainment" 

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© Victor Fuseau

Pour être compétitifs sportivement, les clubs français ont besoin de combler le gouffre financier qui les sépare de leurs concurrents anglais ou espagnols. Entré dans le top 30 des clubs les plus riches d’Europe en 2019 (164,2 millions d’euros de chiffre d’affaires pour la saison 2017-2018), l’Olympique Lyonnais doit diversifier ses revenus s’il veut, un jour, gagner la Ligue des Champions comme l’a exprimé son président Jean-Michel Aulas en ce début d’année. Il possède pour cela un atout majeur. Propriétaire de son enceinte, une rareté en France, le club rhodanien a toute latitude pour exploiter son Groupama Stadium et engranger des revenus supplémentaires. En bon business-man, Jean-Michel Aulas a mis sur pied en juillet 2018 un service « tourisme ». Au club depuis mars 2016, Anthony Jaffre en a pris la responsabilité. Son rôle : « développer la marque Olympique Lyonnais et faire du stade un monument comme les autres, explique l’ancien publicitaire. C’est notre stratégie baptisée « Full Entertainment » pour faire du stade un lieu de vie toute l’année. »

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Pour atteindre son but, le septuple champion de France emploie les grands moyens : inauguration d’un musée en mai 2018, organisation de visites du stade (48 000 visiteurs par an), lancement du projet OL City avec centre de loisirs de plus de 23 000m2 comprenant laser-game et bowling : il est définitivement entré dans l'ère du football-business. « Aujourd’hui, un club de football fonctionne comme une marque, commente Guillaume, un groundhopper de 24 ans. Paradoxalement, nous, groundhoppers, participons à cette dérive commerciale. Je suis allé au Groupama Stadium avec beaucoup de curiosité mais une fois à l’intérieur, je me dis que ce n’est pas le football que j’aime. »

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La crainte de tribunes aseptisées

À Marseille, certains groupes de supporters s'opposent ouvertement à l'entrepreneur Jacques-Henri Eyraud, président du club, accusé de disneylandiser l'Olympique de Marseille et son stade, l'Orange Vélodrome.

Comme l’OL, de nombreux clubs de Ligue 1 misent sur une animation de leurs stades à l’américaine. C’est particulièrement le cas depuis 2014, quand la Ligue de Football Professionnel (LFP) a choisi de s’entourer de deux entreprises spécialistes du marketing sportif afin d’améliorer la fan experience des enceintes françaises. À Nantes, le stade de La Beaujoire a été équipé d’ampoules LED pour proposer un show lumineux avant l’entrée des joueurs. Destinée aux enfants, une « Kids club area » a été inaugurée aux abords du Matmut Atlantique à Bordeaux tandis que l’OL cible la génération Y avec l’installation d’une « like zone » pour millenials. Un verbiage américanisé et marketing, symbole du virage pris par le football français à l’heure où une nouvelle génération d’investisseurs étrangers succède progressivement aux patrons d’entreprises locaux.

 

Pour qualifier cela, l’ethnologue Christian Bromberger évoque un phénomène de disneylandisation des tribunes, où le match de football est un spectacle qui se consomme plus qu'un événement qui se vit. Le modèle de développement touristique de la firme américaine inspire même l’Olympique de Marseille. Un modèle du football business aux antipodes des valeurs du « football-vrai » défendues par les groundhoppers, comme Philip. « Je n’ai qu’une seule envie : que ces clubs qui font des « fan experience » et des espaces VIP se créent une petite digue autour d’eux. Ensuite, qu’ils laissent l’autre football, le vrai football, aux autres clubs. »

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De ces nouveaux dispositifs, en effet, découle un conflit de valeurs entre fans de football et instances dirigeantes, cette « lutte syndicale » évoquée par Jean-Michel Roux, enseignant-chercheur à Grenoble. «Cette lutte, c’est celle du contrôle et de la manière de façonner les tribunes entre fans et propriétaires de clubs, détaille-t-il. Les ultras souhaitent continuer à faire masse, alors que l’objectif des clubs est d’atomiser le public, l’assigner à une place et un rôle particulier ». Et Basile, groundhopper originaire de Troyes, de prendre l’exemple du Stade Pierre Mauroy, à Lille. « Dans le nouveau stade, les paroles de l’hymne du club sont affichées sur les écrans géants : on vous demande de chanter ! Lens, par exemple, n’a pas besoin de ça.»

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"Le risque est d'avoir un public plus spectateur que supporter"

Proposer des fan experience et animations à l’américaine n’est pas anodin. Comme l’a détaillé l’étude conduite par la LFP en 2014, l’objectif des instances du football français et des clubs est de « partir à la conquête de nouveaux publics ». « Mécaniquement, en faisant des stades plus grands, on cherche à les rentabiliser par l’attraction d’un autre public, décrypte Pierre Rondeau, spécialiste de l’économie du sport et auteur, entre autres, du livre « Le Foot va-t-il exploser ? Pour une régulation du système économique du football. » Dans la catégorie des recettes matchday, on a les supporters, les abonnés, et les touristes : les nouveaux entrants. Le panier moyen de consommation d’un spectateur au stade est plus important que celui d’un supporter qui possède déjà le maillot et l’écharpe du club. »

Pour l’heure, impossible de savoir si les stades français prennent une direction semblable aux enceintes anglaises où un phénomène de gentrification des tribunes est à l’oeuvre, mais pour les amateurs de groundhopping comme Guillaume, « le risque est d’avoir un public plus spectateur que supporter. Les stades seront pleins mais sans passion, sans atmosphère. Cette évolution va amener un nouveau public au stade, au détriment d’un autre qui fera le choix d’aller ailleurs », présage celui qui étudie le management à Toulouse. Même crainte pour Basile, un autre groundhopper. « Je comprends que, pour des raisons économiques, les clubs aient besoin de capter un public présent pour l’entertainment et le show. Mais, ce ne sont pas des gens qui aiment le foot plus que cela. C’est surtout beaucoup de paillettes. »

Séduire un public volatile comme celui des groundhoppers, et plus largement des touristes de masse, représente un intérêt économique. En Angleterre, l’institut VisitBritain avait estimé que 800 000 touristes avaient assisté à des matchs de Premier League en 2014, un tourisme footballistique qui avait rapporté pas loin de 800 millions d’euros au Royaume.

© Victor Fuseau

SOURCE DNCG

"Le stade et la ville,

c'est un tout"

Par ailleurs délocalisés en périphérie des villes, les nouveaux stades construits à l’occasion de l’Euro 2016 sont le symbole d’une distanciation entre villes et enceintes sportives. Par exemple, l’ancien stade de l’Olympique Lyonnais se situait dans un quartier de la ville dont il portait le nom : le stade de Gerland. Son nouvel écrin se trouve désormais à Décines-Charpieu, à une dizaine de kilomètres plus à l’est. À Nice, Lille et Bordeaux, les nouveaux stades sont aussi éloignés des centres-villes (voir vidéo ci-contre). « Les clubs évoquent des contraintes urbanistiques et patrimoniales qui les empêcheraient de se développer, rappelle Jean-Michel Roux, enseignant-chercheur en urbanisme à Grenoble et qui tient un site entièrement consacré aux réflexions universitaires sur les stades et leurs ambiances. Le fait de les construire dans ces zones illustre le fait d’attirer un public moins local et étendre sa zone d’influence. »

© Vidéo réalisée par Victor Fuseau

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© Romain Guilbault, pour Au-Stade.fr

À propos d'un groundhopping à Liverpool, Romain Guilbault évoquait « le charme des petites rues voisines au stade. Un charme qui tend à disparaître avec les nouveaux stades mais Anfield garde lui toute sa proximité avec la ville et ses habitants », Les abords d'Anfield Road sont des espaces de socialisation.

Mettre la vidéo en plein écran pour une meilleure visibilité.

Ces édifices, « hors-sol », construits à distance des centres urbains, témoignent aussi de la volonté, pour les clubs, d’accroître le temps de présence au stade de leurs spectateurs et de les rendre captifs. Une stratégie marketing, là encore, qui ne correspond pas aux attentes des groundhoppers. « Le stade et la ville, c’est un tout. Ce que les groundhoppers aiment, comme moi, c’est aller au stade à pied, pas dans un stade situé à côté de l’aéroport », tranche Philip.  Mathéo, qui réside à Bordeaux, n’est pas vraiment tombé sous le charme du Matmut Atlantique. « À part des pylônes, des boutiques et des bureaux, il n’y a rien à y faire… ». Même constat pour Romain, groundhopper résidant à Ambérieux, non loin de Lyon. « De l’extérieur, le nouveau stade n’est pas intéressant. Il n’y a rien à y voir, Cet aspect social est super important. Dans le cas du Groupama Stadium, je sais que c’est chaud pour certains supporters d’aller au stade… J’habite à 45 minutes de Lyon et je suis plus proche du stade et de l’aéroport que les fans. »  

Stade et business: du stadium au tradium

Pour Jean-Michel Roux, de l’université Grenoble Alpes, la délocalisation des stades en bordure d’autoroute n’est pas une généralité. Pour devenir attractifs, certains clubs ont fait le choix de moderniser leurs enceintes. C’est le cas du PSG, de l’Olympique de Marseille ou encore de l’AS Saint-Etienne. Mais, qu’ils soient nouveaux ou rénovés, les stades modernes relèvent d'une forme d'uniformité esthétique, au grand dam de l'authenticité et la singularité recherchées par les amateurs de groundhoping.

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« C’est l’avènement du stade manufacturé, analyse le chercheur, par ailleurs co-fondateur de BazarUrbain, un collectif d'architectes, urbanistes et sociologues. À Saint-Etienne, la fermeture des angles a permis de façonner le stade dans une enveloppe unique. Pourtant, il n’avait jamais eu besoin d’unité architecturale pour faire corps. Comme tous les stades veulent se distinguer par une grande signature, ils finissent par tous se ressembler ».

Romain, à l’origine du site Au-stade et l’un des groundhoppers français les plus actifs, abonde dans ce sens : « Avec les nouveaux stades, tu vois que c’est du copier-coller. Les groundhoppers cherchent surtout quelque chose d’authentique. »

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Devenu ultra-moderne, connecté et confortable, le stade 2.0 aurait oublié sa dimension socialisante et populaire au détriment de sa finalité lucrative. « On est en train de gentrifier les stades pour la rentabilité économique. On sacrifie le peuple des tribunes au détriment du peuple des loges », rappelle Pierre Rondeau, économiste du sport. En effet, selon les théories du chercheur John Bale, cette situation révèle le passage du stadium au tradium. Contraction de « trade » (« commerce », en anglais) et de « stadium », le tradium est un stade pensé pour la rentabilité économique, où le fan de football est avant tout un client.

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Les anciens stades, comme le Renato Dall'ara à Bologne (Italie), conservent une identité propre et renferment une mémoire collective. 

© Romain Guilbault, pour Au-Stade.fr

La construction d’un nouveau stade peut générer, au sein d’une ville et chez les supporters de football locaux, un “trauma urbain” selon Jean-Michel Roux.

L’un des exemples les plus récents est probablement le projet de construction d’un nouveau stade à Nantes - aujourd’hui avorté - voulu par le président du club, Waldemar Kita. Basile, groundhopper troyen, voit les “nouveaux stades comme des évolutions technologiques” mais se pose, dans ce cas précis, en faveur “d’une rénovation de la Beaujoire”, l’actuel stade du FC Nantes.

Fortement mobilisés contre le projet de construction du YellowPark - qui se voulait futuriste, moderne et connecté - les supporters du FC Nantes ont, par leur engagement, mis en lumière ce décalage entre la finalité lucrative du football moderne et la dimension populaire de leur sport.

En lire plus : “Nantes, YellowPark… Kita fait perdre?” sur so.foot.com

"On va quand même dans ces stades, pour se dire qu'on en a fait un de plus"

« En fait, les stades modernes, c’est tout ce que je veux éviter. J’aime voir des gens et avoir l’impression qu’ils sont là depuis des années », soutient Steve. « Ce que j’aime, c’est la dimension sociale des tribunes, complète Basile. A Lens, je me place régulièrement à côté de la même personne. On se retrouve une heure avant le match, on discute, on parle de foot, du championnat, des ambitions de Lens, de son passé etc. Le football français tel qu’il se développe cherche à capter un public présent pour l’entertainment, le show et les paillettes. En tant que groundhopper, on va quand même dans ces stades, juste pour se dire qu’on en a fait un de plus… ».

 

À vouloir absolument renouveler ses publics, le football français n’aurait-il pas laissé de côté la dimension populaire de ce sport, en somme, tout ce que recherchent les groundhoppers ? En effet, le désir de la Ligue de Football Professionnel de « partir à la conquête de nouveaux publics » se couple d'une mise au pas des plus fervents supporters, à tel point que les stades français deviennent plus aseptisés que jamais. Les fumigènes y sont interdits et les ultras honnis. Depuis le début de la saison, pas moins de 70 arrêtés ont été pris par les préfectures ou le ministère de l’intérieur pour interdire de déplacement certains groupes de supporters. Alors qu’elles n’avaient été utilisées qu’à trois reprises à leur création lors de la saison 2011/2012, les interdictions de déplacements de supporters ont été prononcées 16, 37, 39, 218 (période de l’état d’urgence) et 81 fois les saisons suivantes. En France, ces mesures d'exception se normalisent. « Tous les arrêtés préfectoraux pourrissent l’esprit du supportérisme, se désole le co-créateur d’Au-stade, Romain. Le plaisir du groundhopping est aussi lié aux ambiances des supporters, qu’ils soient visiteurs ou à domicile. » Dans son rapport sur le public des stades de 2014, la LFP apprenait que « l’ambiance créée par les supporters » est l’aspect le plus recherché par les spectateurs. Voilà au moins un point commun partagé avec les groundhoppers

 

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Victor FUSEAU

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